Laisser aller…

Publié dans NOVELTY MAGAZINE (mars 2018)

 

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Je fume une cigarette. Mon frère est assis de l’autre côté de la pièce, ses coudes pèsent lourd sur ses genoux. Il relève la tête, regarde fixement, nos regards se touchent. Tout se passe au ralenti. Les volutes de fumée de cigarette s’évanouissent doucement.

Dans ce lieu, le temps est déformé, il a son propre rythme. Même les bruits que nous faisons circulent dans l’espace à moindre vitesse.

Le temps s’accélère soudain quand nous entrons dans la chambre de notre père. Tout va de plus en plus vite, mon cœur bat comme un tambour. Je transpire, je tiens la main de mon père.

Mes frères, mes sœurs et moi, nous discutons et rions. Notre père est comme une poule entourée de ses poussins. Impuissant à parler mais exprimant de ses yeux l’amour qu’il nous porte. Nous nous comprenons sans mot dire.

J’ai peur de faire trop de bruit, je ne veux pas effrayer la mort qui doit nous rendre visite. Mais nous n’avons jamais fait connaissance et je ne sais pas si elle peut supporter le rire, l’amour, le bonheur. Je me demande si elle attend devant la porte que nous nous taisions avant d’entrer. Attendra-t-elle jusqu’à nos cris et nos pleurs ? Jusqu’à ce que nous soyons devenus hystériques ?

Il me vient à l’esprit que ma vie est sur le point de changer. Dans quelques minutes, elle sera irrévocablement transformée. Une grosse branche sera coupée. Et à quoi ressemblera une vie sans son père ? Pourrai-je faire face ? Il me semble, à cet instant, que moi aussi je me rapproche de ma destination finale.

Alors que la souffrance et sa délivrance peuvent durer une éternité, la mort frappe silencieusement et très vite. Plus vite que la foudre. L’esprit court derrière. Comme le tonnerre.

Je tiens maintenant le pied de mon père, enveloppé d’une chaussette de laine. Les larmes coulent sur mon visage. Je lève la tête. Lui, semble regarder au plafond et se demander pourquoi nous sommes tous là, comme accrochés à son corps, alors qu’il est déjà libre et heureux là-haut. Un rideau blanc s’agite dans la brise légère, mon père s’est envolé par la fenêtre. Et ma vie va ainsi comme je l’avais deviné.

Quatre ans plus tard, j’entends encore sa voix. Il marmonne : « Ce ne sera plus jamais pareil, mais cela donnera des ailes à nos souvenirs ».

 

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